Du cachemire pour le PLAISIR

filage artisanal au rouet cachemire alpacone

Suite au ralentissement des visites, j’ai constaté que le thème du mois que je proposais sur le forum Tricotin n’éveillait plus beaucoup d’intérêt, et j’avoue que cela ne m’a pas motivée moi-même à y participer. J’ai réussi ces derniers mois à montrer mon travail pour les derniers thèmes, mais il est clair qu’il était temps que cela s’arrête. Pas d’inquiétude : je reste sur le forum pour le modérer et surtout pour répondre à vos questions. Mais pour le moment, je ne proposerai plus de thèmes.

Toutefois, je n’aime pas trop les choses en suspens et, avec beaucoup de retard, j’ai décidé de proposer aux fileuses et fileurs du forum un ultime thème de filage pour boucler l’année 2019. Il faut dire que, en cette période de confinement, je suis bien obligée de m’attaquer aux choses qui traînent : je n’ai plus d’excuses pour procrastiner.

Toutefois, toujours à cause de ce confinement, je voulais aussi faire passer ce message : FAITES-VOUS PLAISIR.

Au cours de l’année écoulée, j’ai lu beaucoup de messages sur les réseaux sociaux faisant part d’un certain désenchantement vis-à-vis de la professionnalisation de nos beaux arts du filage, de la teinture et du travail des fibres en général. C’est un souci qui ne touche pas que la France : même au-delà des frontières, dans des pays où le filage (tissage, teinture, etc.) est plus répandu, où il existe des associations étendues, des guildes, il est tout de même très, très compliqué d’en vivre. Voire d’espérer en vivre. Cela pose une question qui s’étend bien plus loin que le seul domaine textile : peut-on, et/ou doit-on, demander à notre passion de nous faire vivre ? Elizabeth Gilbert, dans l’ouvrage Comme par magie (ou Big Magic, en anglais), dont Flore, la fondatrice de ce forum, m’a conseillé la lecture il y a quelques années, essaie d’y répondre, et j’ai apprécié son point de vue très humble.

Quels que soient nos enjeux, nous subissons tous des déceptions dans notre parcours d’apprentissage et de création. L’image est éculée, mais je suis tentée de conseiller à chaque personne tombée de bicyclette – ou de rouet – de remonter dessus… et d’essayer de repartir toujours non pas de zéro, mais de l’essentiel : le plaisir.

Car, non, au XXIe siècle, nous ne sommes pas obligés de filer pour vivre ou pour vêtir notre famille ! Nous avons cette grande chance : nous avons le droit le filer pour le plaisir. Donc, je vous en conjure, ne boudez pas votre plaisir, et surtout, ne l’oubliez pas, ce plaisir.

En cette période de crise et de confinement, il est plus temps que jamais de plonger vers ce qui nous réjouit le plus. Pour ma part, cela a été de prendre dans mon tiroir à trésors un sac que j’y avais glissé il y a très peu de temps : du cachemire très doux, d’une couleur naturelle adorable, sorte de caramel bien dilué de crème fleurette, que j’ai acheté lors de la Fête de la Laine de Malakoff 2020 auprès d’exposants italiens fort talentueux, Alpacone. Je vous l’avoue : ce n’était pas donné. Normal, pour du cachemire. Mais quand j’expose sur un marché, j’investis souvent mes bénéfices chez mes voisins de stand, c’est comme ça. Et là, il faisait si beau, j’étais entourée de magnifiques œuvres textiles qui me transportaient de joie… je me suis prise pour une star et je me suis dit que je le valais bien. Que je le valais largement.

filage artisanal au rouet cachemire alpacone

Vraiment, je ne regrette pas mes sous. J’ai pris à filer ces fibres un plaisir incommensurable.

C’est clair, elles “réclamaient” d’être filées en long draw. Vous la connaissez peut-être, cette petite voix des fibres qui vous chantonne avec autorité ce qu’elles veulent qu’on en fasse. Des fibres relativement courtes, extrêmement fines, plutôt glissantes, impossible d’essayer d’en faire autre chose : elles se seraient sans doute vengées 😉

D’habitude, je réserve mon Little Gem aux déplacements, notamment au pub spinning, car je trouve l’Aura plus facile à régler. Mais là, j’avais besoin d’aller vraiment très vite, et le plus petit rapport de la toute petite poulie haute vitesse, c’est ce qu’il me fallait (vu la quantité, je n’avais pas la patience d’utiliser les petits fuseaux de ma charkha, qui aurait sans doute offert le meilleur rapport). Je n’ai d’ailleurs eu aucun souci à régler le frein.

J’ai donc filé en long draw, assez fin, car les fibres glissaient les unes contre les autres et ne demandaient que ça. J’ai fait un retors à deux brins tout simple. Tout de même, j’ai suivi le conseil proposé par Judith Mackenzie dans son ouvrage The Practical Spinner’s Guide : Rare Luxury Fibers : filer avec peu de torsion, retordre avec beaucoup. J’ai obtenu un fil de départ très fin, avec un fil d’arrivée dodu et très moelleux. Pour celles et ceux qui aiment les chiffres : le filage a duré 18 h 30, le retors 7 h ; l’écheveau pèse 225 g et mesurait 950 m après retors, 947 m (soit presque pas de perte !) après blocage et trois ou quatre “claquages” contre un mur.

Ce long moment de long draw a représenté l’opportunité parfaite de perfectionner ce geste parfois difficile à maîtriser. Je le répète, les fibres s’y prêtaient magnifiquement.

J’envisage une moelleuse étole crochetée en star stitch (point marguerite). Et je m’engage solennellement à venir partager une photo dès que j’aurai fait mon échantillon 😉

filage artisanal au rouet cachemire alpacone