Il m’arrive d’être un peu sauvage par rapport à la plupart des blogueuses et blogueurs qui œuvrent dans les arts créatifs. La tête dans le guidon… dans la marmite ou dans la pelote… j’organise mon temps comme je peux pour satisfaire ma gloutonnerie de bricolage, et je me méfie de ma façon de tenir les délais (il n’y a qu’à voir ma lenteur à dévoiler mes cadeaux de Noël… je vous rassure, j’en ai encore en magasin !). Si bien que je succombe rarement à la tentation de participer à des échanges. Le premier et dernier, c’était il y a presque un an, il s’agissait de mail-art. Mais récemment, les talentueuses fileuses du Forum du filage ont réussi à me convaincre et j’ai pris part en ce début d’année à un échange d’écheveaux !
Bon, j’ai beau avoir accueilli Monsieur Albert, mon bien-aimé Little Gem II, depuis plus d’un an, et la cardeuse (non encore baptisée, car je ne l’ai pas encore vraiment apprivoisée) peu de mois après, je reste une novice du filage. Il m’a donc fallu ravaler mon amour-propre pour accepter l’idée que mon écheveau irrégulier et imparfait allait tomber chez une fileuse chevronnée qui en serait peut-être déçue… Et quand l’organisatrice de l’échange, Elo (la pauvre s’est donné bien du mal et on a finalement réussi à la faire tourner en bourrique… euh, pardon, en bique… ;-), m’a annoncé le nom de ma “filleule”, Zouzou (qui n’a pas encore de blog !!! scandale !!! ;-D), ça n’a pas arrangé les choses, car j’avais pu admirer ses créations, non seulement en filage mais aussi en tricot dentelle.
L’écheveau était à envoyer pour arrivée le 1er mars, et chaque participant(e) devait remplir un bref questionnaire permettant à son parrain (j’insiste sur le fait qu’il y a des messieurs qui filent ! et d’autres qui tissent ou feutrent, tout aussi talentueusement, et ont participé à l’échange : non, les arts du fil ne sont pas réservés à la gent féminine !) ou à sa marraine de cerner ses goûts. Ma “filleule” Zouzou avait choisi pour sa part le thème… “Solstice d’hiver”. Aaaargh ! Si elle savait combien j’ai pu me gratter la tête (et pas seulement parce que ma chère fille avait ramené des poux à la maison ;-D) à ce sujet ! Et le pire, c’est qu’elle m’a avoué après avoir “dit ça comme elle aurait dit autre chose” ! Si si !
Bon, eh bien ! moi, le solstice d’hiver, ça ne m’évoquait pas grand-chose à part la visite d’un site archéologique passionnant au fin fond de l’Irlande, il y a quatre ou cinq ans… Je me voyais mal illustrer ça avec des fibres… Et, ne sachant vers où me tourner, je dois vous avouer le rouge au front que je suis allée réclamer des images de “solstice d’hiver” à Google. Et oui, c’est malheureux d’en arriver là mais je vous l’ai déjà dit : je suis une bricoleuse, pas une artiste.
Je suis tombée sur d’assez jolis couchers (ou levers ?) de soleil sur paysages enneigés. Tiens, pourquoi pas, les ciels enflammés, moi, ça m’inspire assez quand il s’agit de teindre la laine. Je tenais donc ma palette de couleurs… Autre point à prendre en compte : Zouzou n’aime que les fibres très, très douces. Donc, vigilance sur le front de la soie. Bref, après avoir tourné autour de la marmite un moment, j’ai fini par m’offrir une après-midi de teinture dans mon “laboratoire” (ma cuisine sporadiquement transformée en atelier clandestin).
J’ai eu un peu de mal à reproduire l’orange saumoné des ciels que j’avais vus, mais j’ai fini par obtenir quelque chose d’acceptable avec des peintures pour soie Dupont. J’ai teint d’une part un mélange laine et soie acheté sur le site du Mouchon, d’autre part de la soie maulbère en provenance de chez Alysse. Cette dernière m’a donné un peu de souci car elle est sortie de la cocotte minute rêche et toute raide, surtout une fois sèche ! On aurait dit du carton ! J’ai eu un moment de découragement, puis j’ai décidé d’essayer de la carder un peu pour décoller les fibres qui donnaient l’impression de s’être tout agglutinées. Avec des petits coups de carde à main précautionneux, j’ai réussi à lui redonner son aspect nuageux et brillant. Ouf !
C’est ensuite la cardeuse qui s’est chargée de l’alchimie. Je voulais recréer tout mon paysage enneigé, et j’ai choisi pour la base (la neige) du mérinos gris très clair et très doux en provenance de Nouvelle-Zélande via le site Tricotin (oui je sais, j’achète à tous les râteliers), dans lequel j’ai intégré tant bien que mal des bouboules de laine blanche, puis mon mélange laine et soie ainsi que la soie maulbère, avec pour finir quelques mèches d’alpaga noir ici et là pour faire les branches nues des arbres (tout un poème ;-). Les nappes étaient légères, harmonieuses et très douces : jusque-là, j’étais ravie de l’avancement des choses.
C’est ensuite que ça s’est un peu gâté… J’ai eu beau faire des efforts, impossible de filer un fil régulier, ni en grosseur, ni en couleur. Je pensais avoir bien divisé et mêlé mes ingrédients mais ce ne devait pas être le cas, les nappes n’étaient pas identiques. Le résultat : deux écheveaux assez dissemblables. Grrr ! Ce n’était pas encore le chef-d’œuvre du siècle, même si j’avais une certaine tendresse pour mes couleurs.
Avec les résidus de cardage ramassés sur le petit rouleau de la cardeuse, je me suis amusée à faire des perles assorties en laine feutrée avec de l’eau chaude et du savon de Marseille (là encore, la régularité n’était pas évidente à atteindre…), histoire de bricoler des anneaux marqueurs. Je suppose qu’une tricoteuse de dentelle n’en a jamais assez ! Une partie sont fermés (ceux qui restent sur les aiguilles), d’autres, dotés de mini-mousquetons, peuvent s’ouvrir et donc servir à marquer des repères sur les lisières du tricot.
C’est une fois tout ça terminé et ma petite déception digérée, l’écheveau emballé dans son colis, que je me suis souvenue que moi aussi, j’allais recevoir quelque chose ! Qui était donc ma “marraine” ? Mystère et boule de gomme. Eh bien ! là, nous avons tous et toutes eu une drôle de surprise, car apparemment, Elo avait privilégié une solution un peu originale : sous couvert de “marrainage” et “parrainage” secrets, elle nous renvoyait en fait les un(e)s vers les autres : nous étions parrain/marraine et filleul(e) de la même personne…
C’est donc de Zouzou que j’ai reçu ce magnifique colis : une pelote de fil bleu d’une régularité parfaite (elle est douée pour ça !), et assez fin pour que je puisse enfin me lancer dans la dentelle (quand j’aurai un peu de temps et de sérénité devant moi) ; cinq fines et absolument superbes nappes cardées dans les tons bleu, mauve, magenta, de vraies œuvres d’art, numérotées de la plus claire à la plus foncée (le diable est dans les détails…) ; et un paquet de kid mohair bouclé merveilleusement doux ! Que j’ai hâte de pouvoir faire honneur à toutes ces belles choses ! Merci Zouzou !
L’anecdote : lorsque j’ai connu l’identité de ma “filleule”, j’ai naturellement cherché à en savoir plus sur ses goûts, et comme elle n’a pas de blog, je suis allée jeter un coup d’œil à son album photo… ce qui a achevé de me complexer… mais j’ai aussi remarqué qu’elle avait de belles pelotes régulières, rien avoir avec les affreux machins ronds et tout tassés que je faisais de mes blanches mains. Je lui ai envoyé un message pour savoir si un accessoire magique était à l’origine de cette réussite et, de fil en aiguille, nous avons papoté et elle m’a conseillé de venir confronter mes expériences à celles d’autres fileuses et tricoteuses au cours d’un “pub spinning” (café filage) à Paris. Ce que j’ai fait ! C’était la première fois que je rencontrais d’autres fileuses, et j’étais ravie de sortir un peu de mon isolement, mais c’était aussi amusant de rencontrer Zouzou et j’espérais bien ne pas faire de gaffe au sujet de l’échange. Elle m’a avoué après coup qu’elle-même avait bien ri de me voir, songeant à part elle qu’elle était ma marraine… et ignorant bien sûr que j’étais la sienne. Elo nous avait joué un bon tour, cette coquine de “Bigorneaude”.